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Intelligence innée ou acquise: des conceptions aux prises avec les réalités de l’école

Dernière mise à jour le 7 mai 2014

«Conceptions de l'intelligence et pratiques éducatives, quelle est l’influence du constructivisme?» vient de paraître aux éditions PUQ. Questions au Prof. Pierre-André Doudin, responsable de l’UER Développement de l’enfant à l’adulte et co-auteur de cette publication.

Cosigné par Caterina Fiorilli, Pierre-André Doudin, Louise Lafortune et Ottavia Albanese, l’ouvrage permet de mieux cerner les représentations de l’intelligence qui influencent les enseignants dans leur pratique. Une question de fond sous-tend l’analyse: jusqu’à quel point l’école peut-elle contribuer au développement de l’intelligence? Entretien avec le Prof. Pierre-André Doudin, responsable de l’UER Développement de l’enfant à l’adulte.

Un ouvrage sur l'intelligence pose d'emblée la question incontournable. Comment définir l'intelligence?

Dans la définition piagétienne, l'intelligence, c'est d'abord fondamentalement la capacité de s'adapter. En ce sens, cette caractéristique n'est pas spécifiquement humaine. L'adaptation caractérise l'évolution des êtres vivants dans leur ensemble. Ce qui distingue l'être humain des animaux, c'est sa capacité à se penser soi-même, à réfléchir sur son fonctionnement intellectuel et émotionnel. On parle alors de métacognition, de métaémotion.

Vous mettez en exergue dans votre livre deux conceptions de l'intelligence qui s'affrontent et qui ont des effets sur les pratiques des enseignants.

Face à l'intelligence, deux conceptions s'affrontent: les innéistes pensent que les capacités intellectuelles des élèves sont innées et donc relativement immuables. Les constructivistes sont convaincus que ces mêmes capacités peuvent se développer grâce à l'enseignement. La contestation du constructivisme repose aujourd’hui en partie sur une mauvaise compréhension des neurosciences qui se sont emparées de la cognition.

Enseignants innéistes et enseignants constructivistes sont-ils marqués par des «profils» différents ou évoluent-ils d’un état à l’autre?

On peut répondre oui aux deux termes de la question. Tout d’abord un constat : en tout temps et en tout lieu, on retrouve toujours dans le corps enseignant la même proportion d’innéistes, soit environ un tiers. Ce sont plutôt des hommes, plutôt des personnes issues de milieux modestes où la tendance à subir sa destinée est plus forte, plutôt des enseignants des sciences exactes. En revanche, les constructivistes sont en règle générale issus de milieux plus privilégiés, dans lesquels on croit davantage au pouvoir de l'étude, à sa capacité à changer le cours de la vie.

Voilà pour les «profils». En matière d’évolution, on constate que les étudiants à l’enseignement sont, dans leur ensemble, plutôt constructivistes, mais après quelques années de confrontation avec leur métier, ils deviennent innéistes. Face à la complexité croissante de l’enseignement, aux échecs inéluctables qui placent les enseignants devant une réalité difficile à accepter – ils ne vont pas réussir avec tous leurs élèves – une posture définitive s’impose fréquemment, celle qui tend à dire, devant l’échec: «Je n'y peux rien». L'enseignant innéiste s'incline devant le déterminisme social et familial et accepte l'idée qu'il n'y a pas de solution. Cette position permet, en quelque sorte, de se protéger de ce qui pourrait être perçu comme une faille sur le plan professionnel. Face au développement de l'intelligence, se désimpliquer peut paraître comme une condition sine qua non pour durer dans le monde du travail.

Les enseignants qui restent fidèles à une conception constructiviste de l’intelligence sont donc plus exposés, plus fragiles?

Oui, par la force des choses. Aux yeux du constructiviste, chaque élève peut développer son intelligence, mais il sait que les expériences scolaires perturbent, parce que l'école, qui sélectionne, qui hiérarchise, recèle un fort potentiel de discriminations. Dans sa classe, qu’il perçoit comme une authentique communauté de recherche, l'enseignant constructiviste est donc en lutte permanente contre les processus sélectifs. Il est mû par sa volonté de voir tous ses élèves réussir et mobilise toutes les ressources pour y parvenir. Une recherche a d'ailleurs mis au jour un phénomène singulier: les élèves qui réussissent à l'école sont ceux qui ont une bonne connaissance de leur enseignant comme personne.  Mais on comprend dès lors que ce type d'engagement expose davantage les enseignants constructivistes au burn out. Ce constat est un problème que l'école doit empoigner: Que faut-il entreprendre pour que nos enseignants constructivistes ne sombrent pas dans un épuisement professionnel ou qu’ils ne se replient pas sur une attitude innéiste?

L’école doit pouvoir proposer des personnes-ressources pour assurer un soutien, afin que les enseignants puissent continuer de prendre le risque constructiviste sans devenir des personnes à risques.

Mais sur quoi repose précisément la solidité psychologique des innéistes?

L’enseignant qui a une position innéiste est moins vulnérable, parce qu’elle va de pair avec une déshumanisation de la relation. Les innéistes filtrent beaucoup moins leurs émotions que les constructivistes. Face à l’élève, l’enseignant innéiste montre ce qu’il ressent, ce qu’il pense de lui sans trop se soucier des conséquences. Cette attitude peut être dommageable pour l'enfant, car elle peut l’entraîner dans le cercle vicieux de l'échec, frappé en quelque sorte du sceau d’un verdict institutionnel.

Quel poids le milieu – l’établissement scolaire - fait-il peser sur la conception constructiviste de l’intelligence?

Je constate souvent avec regret que s’opère pour nombre d’étudiants un changement dramatique entre la fin des études à la HEP, où le principe d’éducabilité est très fort,  et l’entrée dans le métier, marquée par la culture de l’établissement où domine parfois une posture défensive et résignée, où le déterminisme génétique ou social prime. Cette position est catastrophique, car pour faire évoluer ses élèves, il faut, bien entendu, évoluer soi-même et la position constructiviste le permet. Le leadership pédagogique de la direction est essentielle.

Votre flamme constructiviste est intacte. C’est elle que vous transmettez à vos étudiants?

Oui! La question que j’aime poser à mes étudiants futurs enseignants est toute simple: «Selon-vous, quelle est la part de l’intelligence qui est construite?» L'éducabilité est une valeur, mais c’est aussi une responsabilité. «Vous êtes responsable du développement de l’intelligence, car rien n’est plus indispensable qu’apprendre à penser.» Et c’est en apprenant que l’élève va développer son intelligence, accroître sa marge d’évolution. En un mot se construire.

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