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La supervision, un soutien à l'enseignement au service de l'élève

Dernière mise à jour le 20 octobre 2015

«Comment soutenir les enseignants face aux situations complexes?» est le titre du livre de Denise Curchod, professeure formatrice, psychologue et psychothérapeute FSP, et de Pierre-André Doudin, professeur HEP et UNIL, paru ce printemps aux éditions de Boeck. Rencontre avec les auteurs.

Les deux chercheurs, qui ont placé au cœur de leurs préoccupations la santé des enseignants et des élèves, montrent comment optimiser les ressources existantes dans le but d’améliorer la réalité perçue et vécue de professionnels de l’enseignement qui se sentent souvent en manque de repère et de soutien, voire parfois carrément «au bout du rouleau».

Denise Curchod et Pierre-André Doudin, faut-il admettre aujourd’hui que les enseignants sont une population sinistrée?

Denise Curchod: «Sinistrée» n’est certainement pas le mot adéquat. Disons que les enseignants, comme les soignants et les autres professions en «prise directe» avec l’humain, ont des facteurs de risques spécifiques liés à des métiers hautement sollicitants. Cela dit, des faits de société indéniables placent les enseignants et leur métier sous la pression de complexités croissantes. Une configuration qui génère une anxiété certaine, mais dont les facteurs sont multiples.

Pierre-André Doudin: Restons conscients que la complexification du métier d’enseignant, qui est allée de pair avec la désacralisation de la figure du prof – et avec elle d’autres figures d’autorité comme le médecin, le curé ou le politicien – s’accompagne d’une réalité dont on ne peut que se réjouir. La fin de la hiérarchisation à outrance a en effet marqué la fin d’une longue période d’abus et de maltraitance. Le cachot et le fouet sont sortis définitivement de la panoplie des «instruments pédagogiques», mais on oublie un peu vite aujourd’hui que cette ère de violences et d’humiliations institutionnalisées n’est pas révolue depuis si longtemps. Dans le canton de Vaud, la dernière enseignante qui recourait régulièrement au «bonnet d’âne» dans ses classes a pris sa retraite dans les années quatre-vingt!

Vous le soulignez dans votre livre à plusieurs reprises: même si la figure du «maître» n’a plus cours, l’enseignant demeure un «modèle d’adulte» qui marque fortement et durablement les élèves dans la construction de leur propre image sociale.

D.C.: Oui, cette donnée nous a mar- qués dans notre pratique psychothérapeutique. Elle souligne le lien extrêmement fort qu’il y a entre l’enseignant et les élèves. Il convient de ne pas négliger cette relation essentielle entre ces deux entités indissociables que sont les enseignants et les élèves. Si l’une des deux souffre, l’autre est également en souffrance.

P-A. D: Voilà pourquoi l’épuisement professionnel de l’enseignant aura pour conséquence de renforcer chez les élèves les risques de décrochage ou d’échec scolaires, de violences, d’exclusion. D’où l’importance cruciale de casser ce cercle vicieux qui aboutit, chez l’enseignant, à un sentiment de faillite pédagogique. Donc, soyons clairs: toutes les mesures prises pour diminuer les facteurs de risques et augmenter les facteurs de protection de l’enseignant auront un impact favorable sur les élèves.

Dans un certain nombre de témoignages que vous livrez, l’enseignant apparaît et se perçoit comme un être seul face à ses problèmes. Or, vous plaidez pour un soutien social qui passe notamment par la supervision. Cette approche passe-t-elle par un changement de culture?

D.C.: Disons qu’il y a quelque chose à changer dans cette idée ancrée chez certains enseignants mais aussi auprès de certaines directions d’établissement que les problèmes rencontrés ne nécessitent pas de moyens particuliers, et surtout pas de moyens professionnalisants, et que d’y recourir serait faire aveu de faiblesse. Pourtant, il n’en est rien. Dans une école de moins en moins exclusive, le rôle de l’enseignant régulier prend une tournure de plus en plus complexe qui nécessite la prise en compte des émotions de manière professionnalisante. Une démarche cognitive et métacognitive rigoureuse, qui intègre l’aspect individuel et le développement personnel, prend évidemment tout son sens pour permettre à l’enseignant d’affronter une réalité qui se désagrège et sortir ainsi de l’impasse. La supervision soutient ainsi la relation enseignant-élève et permet in fine de faire évoluer l’élève en tant que tel.

P-A. D: Il n’est pas simple de demander une supervision et de se soumettre au regard d’autrui et l’on pourrait même dire que plus on en a besoin et plus il est difficile d’y recourir. C’est la raison pour la- quelle le rôle des directeurs d’établissement est primordial dans la construction d’une culture institutionnelle responsable qui favorise les facteurs de protection et limite les facteurs de risques, qui prend soin de la santé psychosociale des enseignants et des élèves. Développer des appuis pédagogiques en classe régulière, introduire des supervisions devrait faire partie des instruments de prévention, à mettre en place avant que les problèmes ne surgissent et quelle que soit la qualité de l’enseignement. Cette sensibilisation à la prévention s’intègre aujourd’hui dans la formation des directeurs.

Faudrait-il alors, comme pour certains autres corps de métier, imposer la supervision?

P-A. D: Non, surtout pas. La supervision dans les faits ne doit jamais être imposée ni vécue comme une contrainte. Cet instrument doit être disponible, mais le rendre obligatoire serait l’utiliser à contre-emploi. Les demandes doivent venir des intéressés eux-mêmes et sous le sceau du secret professionnel. Sinon c’est la porte ouverte au fantasme qui veut qu’un enseignant supervisé soit un enseignant incompétent.

Le développement d’une culture de la supervision pose la question des superviseurs. Qui sont-ils?

D. C.: Nous plaidons bien sûr pour un modèle de supervision adapté aux enseignants. On ne s’improvise pas superviseur. D’où l’importance, dans nos institutions de formation, de former des formateurs à la supervision, au coaching, à la médiation. Notre HEP a déjà fait plusieurs actions en ce sens à la satisfaction des utilisateurs: elle met des personnes-ressources à la disposition des enseignants, elle conçoit et organise des formations postgrades en coaching (DAS accompagnement individuel et collectif) et en médiation scolaire comme le CAS PSPS (Promotion santé et prévention en milieu scolaire).
L’enseignement n’est pas un métier seul et unique, d’autres professions spécialisées peuvent et doivent en découler. Soutenir la spécialisation de certains enseignants fait aujourd’hui partie d’un changement de culture aussi motivant que nécessaire.

Entretien: Barbara Fournier

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