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«Donnons du goût aux savoirs pour donner le goût du savoir»

Dernière mise à jour le 25 septembre 2014

Docteure en Sciences du langage, Isabelle Puozzo est professeure formatrice à la HEP Vaud, au sein de l’UER Enseignement, apprentissage et évaluation. Elle vient de publier, aux éditions Peter Lang, «Le sentiment d’efficacité personnelle d’élèves en contexte plurilingue».

L’analyse porte sur une région très spéciale de l’Italie, la Vallée d’Aoste, mais sa réflexion porte bien au-delà de ce «cas d’école». Mettant à l’épreuve théorie et pratique innovantes en parallèle, Isabelle Puozzo, avec la belle passion qui l’anime, démontre comment auto-efficacité et créativité peuvent se conjuguer pour redonner à des élèves démotivés le goût et la joie de l’apprendre. Entretien.

Isabelle Puozzo, votre livre s’appuie sur une école de pensée portée par l’Américain Albert Bandura – le sociocognitivisme - moins connue dans le monde francophone que celles des pères du constructivisme et du socio-constructivisme, Jean Piaget et Lev Vygotski. Pourquoi ce choix?

J’ai intégré cette école de pensée durant ma thèse de doctorat que j’ai réalisée, conjointement, aux Universités de Grenoble et de Turin. Encore assez peu étudié en France au début des années 2000, le sociocognitivisme avait en revanche déjà fortement imprégné la recherche anglo-saxonne, italo- et hispanophones, ainsi que le Canada francophone.

Ce qui m’a d’emblée passionnée dans le sociocognitivisme, c’est l’analyse d’une réciprocité entre le cognitif, l’émotionnel, le comportemental et le contextuel. En considérant le sujet tout à la fois comme producteur et produit de son environnement, cette théorie place au centre le principe d’auto-efficacité. Ce que Bandura et le sociocognitivisme mettent en avant, c’est l’importance que revêtent, notamment dans l’acquisition des savoirs, les croyances que chacun de nous a de ses propres capacités d’action, quelles que soient les aptitudes objectives. Cette école de pensée place ainsi le sentiment d’efficacité personnelle (SEP) aux sources et au cœur mêmes de ce qui nous motive, de ce qui nous fait persévérer, agir et accomplir.

Le sociocognitivisme ne pouvait donc qu’interpeller et enrichir ma réflexion tournée sur les facteurs transversaux de l’enseignement et de l’apprentissage: le sentiment d’efficacité personnelle, la créativité, l’émotion.

Restait encore à faire le plus dur: mettre la théorie à l’épreuve du réel, c’est ce que vous avez réalisé et dont témoigne votre ouvrage. Une gageure?

Oui, c’est sûr. Mais, j’avais vraiment le désir de traduire une théorie psychologique – le sociocognitivisme, en l’occurrence - en théorie d’apprentissage, et d’opérer une transition didactique complète capable de nourrir à son tour la théorie.

Mon domaine, c’est l’enseignement des langues dans les établissements secondaires et professionnels. Il m’importait donc d’extraire de leur cadre théorique hyper abstrait les évaluations de l’auto-efficacité et de les mettre à l’épreuve de la vraie vie, dans la classe. Plutôt que de basculer le concept «tout cru» dans les contenus disciplinaires, j’ai choisi de travailler sur une capacité transversale – la créativité - en développant le sentiment d’efficacité personnelle des élèves tout en avançant, pas à pas, dans mon programme.

La difficulté du terrain est propice à l’expérience, puisque vous vous trouvez, en Vallée d’Aoste, devant des élèves largement démotivés par l’apprentissage du français. Pour quelle raison?

Ce sont des élèves du secondaire, en voie professionnelle. Faire découvrir et aimer Céline ou Sartre à cette population déjà tournée vers un futur métier, n’est pas une sinécure, d’autant qu’elle arrive au secondaire II largement dégoûtée et en manque patent de valorisation.

Cette donnée peut paraître étrange de prime abord dans un contexte plurilingue où la flexibilité dans l’apprentissage des langues devrait être plus développée que dans un contexte monolingue. Mais en Vallée d’Aoste, la pression politique mise sur le bilinguisme - qui est l’une des pièces maîtresses qui garantit le statut d’autonomie de cette région - conduit à une réalité paradoxale : en posant des exigences identiques à l’apprentissage de l’italien et du français, on ne reconnaît pas le déséquilibre naturel qui existe entre la langue maternelle et la langue seconde. Cette non-reconnaissance se traduit par un programme qui fait fi des capacités réelles des élèves. Les résultats en français sont donc très nettement au-dessous des attentes, les élèves se sentent donc dévalorisés et peinent dès lors à se retrouver dans l’image positive que devrait leur conférer leur identité plurilingue.

Donnez-nous en quelques mots les axes forts de votre livre ?

Dans le contexte plurilingue de la Vallée d’Aoste, où coexistent l’italien et le français, j’ai posé les fondements épistémologiques du sociocognitivisme en approfondissant le sentiment d’efficacité personnelle, afin de dégager des perspectives innovantes sur la motivation scolaire, en particulier dans l’apprentissage des langues.

J’ai conduit, dans ce livre, deux enquêtes, respectivement quantitative et qualitative. Elles se fondent, d’une part, sur des tests psychométriques du SEP à l’entrée et à la sortie du lycée (Secondaire II) en italien et en français, et, d’autre part, sur la recherche-action conduite au sein de ma classe pour développer le sentiment d’auto-efficacité et les moyens didactiques à mettre en œuvre.

Mon livre s’ouvre sur le bilan de cette enquête qualitative et débouche sur la nécessité d’une pédagogie de la créativité pour permettre un meilleur apprentissage. Ainsi, dans le cadre de mes recherches actuelles, au lieu de me fonder sur le sentiment d’efficacité personnelle pour développer la créativité, j’ai inversé le processus: je m’appuie sur cette capacité transversale qu’est la créativité, qui donne de la saveur aux savoirs, pour renforcer le sentiment d’auto-efficacité, qui stimule à son tour l’envie d’apprendre.

En quoi votre livre peut-il aider les enseignants dans leur pratique ?

Dans cet ouvrage, j’ai souhaité faire bien comprendre ce qu’est le sentiment d’auto-efficacité, particulièrement dans son lien avec la notion de compétence, fondement transversal à toutes les disciplines. J’ai tenté de dégager, dans l’apprentissage des langues, des pistes didactiques concrètes, de mettre en œuvre des dispositifs d’enseignement-apprentissage pour développer le sentiment d’efficacité.

Fruit d’un travail nourri à 100% par la théorie et 100% par la pratique, ce livre témoigne du potentiel du sociocognitivisme et de ses limites, prouvant qu’une théorie est toujours transposable sur le terrain mais que c’est toujours le terrain qui en dicte les nouvelles frontières.

Quelles sont les prochaines étapes de votre recherche ?

Gardant l’auto-efficacité en ligne de mire, mais réglant désormais ma focale sur la créativité, je poursuis ma recherche dans les écoles professionnelles sur deux plans :

  • en recherche fondamentale, par l’étude du lien entre cognitivisme, créativité et émotion;
  • en recherche appliquée par l’élaboration de dispositifs d’apprentissage centrés sur la mise en œuvre d’une pédagogie de la créativité en classe.

Au final, ce qu’il s’agit de viser et de mesurer, c’est bien le principe d’apprenance, soit la capacité et le goût d’apprendre tout au long de la vie. Je vois donc la créativité comme une passerelle permettant de construire des savoirs qui ont du goût pour donner le goût du savoir. Théories et pratiques innovantes nous stimulent dans l’amélioration de notre pédagogie dont l’un des objectifs essentiels est de préparer nos élèves à affronter le monde de demain, déjà largement contenu dans le monde d’aujourd’hui.

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