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Neurosciences et sciences de l’éducation: quels horizons au-delà du mythe?

Dernière mise à jour le 4 juillet 2018

Sous la direction d’Éric Tardif et de Pierre-André Doudin vient de paraître le 1er ouvrage francophone qui fait le point sur l’idylle fantasmée ou franchement contestée des neurosciences et des sciences de l’éducation. Entourés de prestigieux auteurs, les deux chercheurs de la HEP Vaud mettent au jour les réelles perspectives de l’apport des neurosciences, débarrassées de leur mythe, sur le champ de l’éducation, en particulier sur les troubles de l’apprentissage.

Éric Tardif, le livre que vous avez codirigé avec le professeur Pierre-André Doudin, Neurosciences et cognition: perspectives pour les sciences de l’éducation, montre les limites de ce qu’on croyait une panacée. Neurosciences et éducation ont-elles vécu un rendez-vous manqué?
Disons que les neurosciences ont soulevé des espoirs disproportionnés. Le monde de l’éducation a eu le sentiment qu’une compréhension approfondie, sur la base de données neurologiques, de la manière dont le cerveau apprend, donnerait des clés sur les manières du «faire apprendre» en classe.
Ce mythe du transfert des connaissances des neurosciences vers l’application, à l’école, a été secoué en 1997, par un coup de tonnerre: l’article signé John Bruer, et intitulé – clin d’œil au film éponyme – A bridge too far. Pour faire court, le scepticisme de Bruer reposait sur une opinion. À savoir que les neurosciences ne peuvent pas apporter de réponse à l’éducation, et que c’est dans le champ de la psychologie cognitive que se trouvent les plus prometteuses recherches en termes d’amélioration des pratiques d’apprentissage.

Le clivage entre les disciplines semble à ce moment-là une barrière infranchissable, mais c’est alors, me dites-vous, que le débat rebondit, près de dix ans plus tard, en 2006, avec un autre article, qui emprunte cette fois-ci son titre à la chanson de Simon and Garfunkel, Bridges over troubled waters: Education and cognitive neurosciences.
Oui. Le but avoué des chercheurs qui signent cet article, Daniel Ansari et Donna Coch, est d’amorcer un dialogue sur les mécanismes concrets susceptibles de faire avancer l’étude de l’esprit, du cerveau et de l’éducation. Ils en appellent à la construction de ponts multiples pour que se tisse un vrai lien entre neurosciences, sciences cognitives et sciences de l’éducation et répondre ainsi à des questions cruciales sur le cerveau apprenant. Cette volonté se concrétise avec la création de l’International Mind, Brain and Education Society (IMBES) qui fédère aujourd’hui, autour de cette question, tous les acteurs impliqués, scientifiques, psychologues, formateurs, enseignants.

Dans l’histoire d’amour chahutée entre neurosciences et éducation, votre livre, représente-t-il, en quelque sorte, un nouveau jalon, un nouveau chapitre?
J’aimerais d’abord dire que Pierre-André Doudin et moi-même avons été très heureux de pouvoir réunir dans cet ouvrage quelques-uns des auteurs les plus prestigieux et les plus en pointe sur la question de la pertinence d’une collaboration entre ces deux champs de la connaissance, à l’instar de Patricia Bauer, spécialiste de la mémoire mondialement reconnue. Ils font le point sur les résultats et l’avancée des recherches en neurosciences cognitives sur des thèmes au cœur des préoccupations des enseignants et des sciences de l’éducation: le langage, la mémoire, l’attention, le raisonnement, l’apprentissage et les troubles qui y sont attachés.
Ce livre réaffirme qu’il n’y a pas de recette magique qui transformerait, d’un coup, des découvertes neuroscientifiques en orientations nouvelles pour l’enseignement. Mais une meilleure connaissance du state of the art des disciplines permet d’ouvrir des pistes de réflexion et d’exercer un regard critique sur les dérives et les raccourcis qu’entraîne une vision trop idéaliste de l’interdisciplinarité et de son apport rêvé.

Vous mettez notamment en exergue les fausses croyances qui ont profondément influencé enseignants et formateurs d’enseignants dans de nombreux pays. Pouvez-vous nous donner quelques exemples?
Ces fausses croyances, nous les appelons des neuromythes. Ils proviennent souvent de simplifications excessives de résultats scientifiques ou d’interprétations carrément erronées. Parfois même, on peine même à remonter le fil: prenons, par exemple, cette déclaration éculée selon laquelle on n’utiliserait que 10% de notre cerveau. D’autres neuromythes ont la vie dure: les gens qui seraient plutôt cerveau droit ou cerveau gauche et les exercices à faire pour équilibrer les deux hémisphères; les trois premières années de la vie qui seraient les meilleures de toutes pour acquérir quelque apprentissage que ce soit; les élèves qu’on pourrait cataloguer plutôt visuels, auditifs ou kinesthésiques (VAK) et les méthodes d’apprentissage à adapter en conséquence, etc.
La curiosité que suscitent les neurosciences (certains utilisent le terme de neurophilie pour la désigner) débouche évidemment sur des enjeux commerciaux, la vente de «méthodes miracles», mais ces représentations faussées du fonctionnement cérébral sur l’apprentissage ont aussi un impact sur les enseignants, et ce conditionnement pèse parfois plus lourd que leur expérience, leur intuition, leur bon sens.

Votre ouvrage jette des lumières nouvelles sur nombre de thématiques qui touchent à la fois les élèves, les enseignants, les parents et la société dans son ensemble. Pourquoi une telle amplitude?
Il était important pour nous de mettre en exergue des éléments concrets et récents des recherches conduites en neurosciences et sciences cognitives qui rencontrent les préoccupations des sciences de l’éducation. La grande diversité des sujets traités permet de croiser l’intérêt des différents publics concernés: les psychologues, les étudiants, les enseignants, les formateurs d’enseignants et les cher- cheurs en éducation et en psychologie de l’éducation. On s’intéresse ainsi à la mémoire, fonction hautement sollicitée à l’école, pour présenter – c’est l’apport de Patricia Bauer, que je mentionnais précédemment – ce que la science nous dit aujourd’hui du développement de la mémoire chez l’enfant. On fait, notamment, également le point sur le trouble de l’attention, avec ou sans hyperactivité, et les traitements qui peuvent être entrepris. La dyscalculie, l’anxiété des mathématiques ou les troubles associés à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture figurent aussi parmi les thèmes abordés. Et l’on termine sur les liens entre l’apprentissage de la musique, la plasticité cérébrale et les effets de ces apprentissages sur d’autres fonctions cognitives sollicitées en milieu scolaire.

À vous écouter, on pourrait croire qu’au bout du compte, l’hypothèse d’une vraie rencontre des neurosciences et des sciences de l’éducation ne se trouve plus «un pont trop loin»?
Pour qu’on voie, un jour, apparaître des applications en classe, il est essentiel que les spécialistes de ces disciplines concluent une véritable alliance de travail. Le champ d’investigation est prometteur, mais, pour être fertile, il doit être débarrassé de tout ce qui le parasite, comme la propagation des neuromythes. En ce sens, nous estimons que notre livre est une étape dans le rapprochement de ces deux mondes et une invitation à une meilleure connaissance réciproque.

Entretien: Barbara Fournier

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