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Enseigner la littérature et faire résonner la petite musique de l'intime

Dernière mise à jour le 13 juillet 2018

L'actuelle responsable de l'UER Français, Sonya Florey, et son prédécesseur, Noël Cordonier, accompagnés de Christophe Ronveaux et Soumya El Harmassi, ont dirigé un ouvrage collectif: "Enseigner la littérature au XXIe siècle: enjeux, pratique, formation." Rencontre avec Sonya Florey pour évoquer avec elle les défis de l'enseignement de la littérature à l'ère de l'image et du zapping.

Sonya Florey, peut-on encore enseigner la littérature au XXIe siècle?

La question est provocatrice mais elle mérite d’être posée. Je dirais, oui, mais plus de la même manière qu’avant. On entend souvent des propos durs sur la difficulté de la transmission dans les disciplines littéraires, mais méfions-nous de la nostalgie du passé forcément toujours un peu fantasmé. Gardons-nous de toute vision qui soutiendrait une forme de résignation face à une «impossibilité d’enseigner», posture  qui n’est évidemment pas tenable. Essayons d’abord de comprendre ce qui a changé. C’est une part de l’ambition de notre livre. Revenir à l’état de fait et aux enjeux, et réfléchir à ce qui peut être conduit aujourd’hui en termes de pratique et de formation.

Posons alors la question autrement: pourquoi enseigner la littérature aujourd’hui?

Se poser la question de la finalité est en effet essentiel. Tout d’abord, comment se définit ce champ spécifique qu’est «la littérature à l’école»? Pour les futurs enseignantes et enseignants, il s’agit en premier lieu de comprendre que la discipline que nous avons aimée, choisie, étudiée, n’est pas celle que nous allons transmettre.

Enseigner la littérature, c’est former des lecteurs, forger une population qui verra le livre comme un miroir dans lequel se réfléchissent – au sens propre comme au sens figuré - diverses représentations du monde. Par ailleurs, faire entrer les faibles lecteurs dans l’univers de la lecture est un enjeu très fort, le livre étant aussi un outil d’intégration sociale.

La conception du "lecteur au centre" se présente donc comme une "clé" pour ouvrir les élèves aux mondes de la littérature?

Oui, avec l'apport du numérique et l'évolution des didactiques, le lecteur est devenu plus que jamais constructeur du sens. L'enseignant se servira du rapport à la lecture pour explorer les frontières de l’intime et déclencher, on l’espère, chez l’élève, la conscience du pouvoir émancipatoire du récit. Cette conscience peut se construire à partir d’un chemin didactique qui aura permis à l’élève de percevoir, même s’il en est historiquement éloigné, la résonance contemporaine du texte auquel il se confronte.

Plus concrètement, comment peut se présenter ce chemin didactique?

Loin des pièges de la surinterprétation, on peut travailler sur ce que veut dire l'acte de lire un "livre", ce mot si proche d'un autre: "libre". Mais la lecture comme acte émancipatoire n'est pas une évidence. Quand cette évidence se produit, c'est le fait d'un déclic très personnel. Pour tenter d'engager les élèves sur la voie de ce déclic, il est bon de mettre la focale sur le couple "œuvre-auteur". En travaillant sur la réception du  livre contemporain, on touche ainsi la dimension sociologique et s'ouvre alors aux élèves une porte qu'ils ont envie de pousser. Si certains d'entre eux sont intéressés par des analyses pointues sur le texte et la construction du récit, d'autres peuvent être davantage captivés  par le phénomène du livre et le statut de l’écrivain. Ainsi, en partant de l'étude de la posture de l’auteur et des manières dont elle s'est constituée, on peut faire des liens avec le réel et contextualiser l'œuvre.

Des querelles agitent les enseignants de littérature. Faut-il aujourd’hui encore imposer les classiques ou se diriger plutôt vers la littérature contemporaine, voire hyper contemporaine?

En fait, ce n’est pas tant cette question qui est cruciale que celle qui consiste, pour chaque enseignant, à se demander pourquoi il opère tel ou tel choix. Un choix éclairé est primordial pour la clarté du projet didactique. Pourquoi tel texte? Pourquoi telle approche, plutôt historique, plutôt sociale, plutôt littéraire? Dans les choix des œuvres, les habitudes d’un établissement, les inclinations des collègues peuvent évidemment jouer un rôle significatif.  Mais encore une fois, le choix des «phares» ou des contemporains, peut-être futurs phares, d’ailleurs, a en soi peu d'importance. Je milite donc pour la liberté de l’enseignant. Une liberté qui permet de réfléchir sur soi et sur ce que l’on met dans son enseignement. S’autoriser des choix, pour autant qu’ils soient argumentés, même à contre-courant ou carrément anachroniques.

Dans votre livre, vous citez Marcel Gauchet, très inquiet de la rupture avec un passé désormais «mort et muet». Que faire de la «crise de la culture» dans l’enseignement de la littérature?

Évidemment, il ne va pas de soi, surtout jusqu’à la fin du secondaire I, que les élèves aient une connaissance préétablie, mais cette méconnaissance peut aussi représenter un facteur potentiellement positif. Face, par exemple, à une littérature très contemporaine exigeante, les élèves sont plus réceptifs parce qu’ils ont une idée non préconçue de la littérature et chacun d’eux est capable d’aller voir «ce que le texte me dit».

Si l'on souhaite, par l’étude de la littérature, «toucher» les élèves, on peut légitimement faire le choix de s’appuyer sur l’interdisciplinarité et à chahuter les chronologies. Mettre en regard un texte de Zola avec un texte contemporain sur la situation des ouvrières chez Moulinex ou du personnel chez Amazon, donner à voir une adaptation cinématographique d’une œuvre littéraire, permettent aux élèves de réaliser ce que "fait" la littérature. Comment rend-elle compte de la réalité, comment la détourne-t-elle, comment la magnifie-t-elle. Créer une plus grande proximité avec une œuvre, c'est aussi, par exemple, inviter un écrivain en classe.

En fait, vous préconisez une liberté d'enseigner la littérature qui rejette les discours défaitistes de ceux qui pensent que cet enseignement n'a plus d'avenir, voire même de sens?

Oui. Il faut une forme de liberté pour désacraliser le texte littéraire. C'est cette désacralisation qui rend l'accès au possible: Liberté d’essayer, de se tromper, de prendre de nouvelles pistes. Se saisissant des outils sur les enjeux de la littérature, il faut communiquer l'envie d’essayer, donner et se donner la liberté de réfléchir. Tenter de répondre à la question du sens sans complexe, sans craindre de s'interroger sur ce que l'on a envie d'apprendre et d'oublier de la littérature.

Le plus important est de créer un rapport au livre positif dès les premières classes. La littérature de jeunesse, sur laquelle nous travaillons activement à la HEP Vaud, notamment au travers d'un site et des séminaires, est évidemment un formidable premier pilier à partir duquel on peut jeter un pont qui ira jusqu'au post obligatoire et, espérons-le, bien plus loin. Du degré primaire au degré post-obligatoire, il faut bâtir ce pont tout en reconnaissant que tous les livres n’ont pas la même qualité littéraire. Nul besoin d'être relativiste en permanence, mais seulement quand c'est porteur de sens. Former des lecteurs est, certes, au XXIe siècle, un défi de taille mais c'est un défi plus indispensable et passionnant que jamais!

Entretien: Barbara Fournier

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