HEP VAUD
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Publication: Immersion dans la subjectivité des enseignants

Dernière mise à jour le 11 juillet 2018

Avec son ouvrage "S'investir dans son travail: les enjeux de l'activité enseignante", Bernard André plonge dans la subjectivité de l’enseignant, au carrefour de la satisfaction et du malaise au travail. Sur la base de 16 autoconfrontations d'enseignants à leur activité en classe, ce professeur HEP identifie les éléments qui déterminent de manière cruciale leur investissement professionnel.

Publié aux éditions Peter Lang, "S'investir dans son travail: les enjeux de l'activité enseignante", a permis à Bernard André d'approfondir le sujet de sa thèse et de le rendre accessible à un public intéressé. Seize entretiens d'autoconfrontation, lors desquels les enseignants ont commenté leur activité, enregistrée sous forme vidéo, lui ont permis de mettre en lumière et d'analyser quatre éléments qui déterminent l'investissement des enseignants dans leur travail. Des ressorts qu'il est important de comprendre dans un contexte de complexification du métier. Interview.

Bernard André, expliquez-nous la notion d'investissement subjectif, qui est au cœur de votre ouvrage?
Aborder l'investissement subjectif dans son travail, c'est parler de ce que l'on met de soi, de son histoire, de ses affects, dans son travail. Travailler n'est pas seulement agir dans le monde, c'est aussi agir sur soi, à partir de soi, et cette interaction entre activité et subjectivité est au cœur de l'investissement subjectif.

Vous constatez dans votre ouvrage que le métier d'enseignant sollicite de manière importante la subjectivité. En quoi est-ce davantage le cas que dans un autre métier?
D'une manière générale toutes les professions dans le domaine des relations humaines la sollicitent. Cependant, depuis une dizaine d'années, plusieurs changements ont influencé la pratique du métier d'enseignant. Il n'existe notamment plus de consensus sur ce qui constitue un bon enseignement, une bonne école. Le flou qui s'est installé autour de cette question génère des attentes contradictoires envers les enseignants, qui ne sont pas toujours faciles à gérer. Par exemple, les attentes des parents vis-à-vis de l'école sont bien plus importantes qu'avant: ces derniers se font du souci pour l'avenir économique de leurs enfants et misent donc beaucoup sur l'école comme principal moyen d'intégration de leurs enfants dans la vie professionnelle. Ils attendent des enseignants de la compréhension pour leur enfant, une prise en compte de son individualité et que les meilleures conditions pour sa progression soient réunies. Multipliez cette attente par le nombre d’élèves d’une classe, la tâche devient très exigeante.

Par ailleurs, de nombreuses recherches mettent en évidence une complexification et une intensification des tâches de l'enseignant. Complexification par la grande diversité des situations des élèves, par les exigences du public envers l’école par exemple, intensification par les exigences de collaboration, et au travers de la confrontation à des situations difficiles par exemple. Ainsi, les objets définis par le Plan d'études romand (PER) sont beaucoup plus complexes à manier que ceux qui se trouvaient dans les plans d'études qui existaient il y a 20 ans, et demandent davantage de travail pour planifier son enseignement. Il y a aussi toute la question de l'inclusion scolaire, qui implique d'inclure davantage dans les classes ordinaires des élèves avec des besoins particuliers (comportement difficile, difficultés d'apprentissage, handicap). Une situation qui exige évidemment un investissement supplémentaire de la part des enseignants. Ces différents changements induisent donc une sollicitation bien plus importante de l'enseignant, en tant que personne, qu'auparavant.

Ces changements exigent-ils de l'enseignant une plus grande introspection sur ses méthodes de travail?
Ils le poussent en tout cas à une réflexion sur le sens de son travail. Cette question du sens est d'ailleurs l'un des quatre facteurs que j'ai identifiés dans ma recherche comme éléments influençant de manière déterminante l'investissement subjectif des enseignants. Quel est le sens de mon travail par rapport aux critiques que je peux essuyer mais aussi par rapport à cette absence de consensus sur ce qu’est bien faire son travail? Tel est la question que se posent nombre d’enseignants dans le contexte actuel. Les décisions qui viennent d'en haut et que l'enseignant doit appliquer sans toujours en comprendre les logiques et les enjeux lui font également remettre en question le sens de son travail. Pour certains, le fait de passer toute une journée dans des classes dans lesquels les élèves n'ont pas envie d'apprendre alors qu'ils sont justement là pour enseigner leur fait parfois se demander ce qu'ils font là.

Les élèves ont-ils moins envie d'apprendre qu'auparavant?
Le rapport aux savoirs des élèves a été chamboulé ces 20 dernières années. L'école n'est plus la seule détentrice des savoirs, il y a d'autres manières d'apprendre: internet, la télévision par exemple. Les savoirs valorisés chez les jeunes ne sont pas forcément ceux qui sont dispensés à l'école. L'enseignant doit donc vivre avec cette tension entre ces différents types de savoirs, ce qui n'est pas toujours facile.

Par ailleurs, l'école est nettement plus exigeante qu'avant sur l'engagement des élèves dans les apprentissages. Il y a 50 ans, on ne parlait pas d'élèves motivés ou démotivés: il y avait les cancres, que l'on mettait parfois au coin, et les autres. Aujourd'hui, les élèves doivent adhérer au projet d'apprentissage. On ne leur demande plus seulement de restituer un savoir mais d'apprendre à manier des stratégies d’apprentissage, de collaborer, de se mettre en projet, d'être autonome et de planifier davantage leur travail. Lorsque les élèves ne parviennent pas à adopter cette manière de fonctionner, cela peut devenir très difficile pour les enseignants.

Quels sont les autres éléments que vous avez identifiés dans votre recherche et qui, à côté de la question du sens donné au travail, influencent l'investissement de l'enseignant dans son travail?
Prenons la question de la reconnaissance. Beaucoup d'attentes reposent sur le travail des enseignants, mais la reconnaissance de leur travail est maigre. Par exemple, une enquête de 2011 relayée par plusieurs médias mettait en évidence que seuls 50% des Romands estimaient que les profs s’engagent avec ferveur dans leur métier, et ne trouvait que 35% des sondés qui estimaient suffisant l’enseignement reçu à l’école par les élèves actuels. Reflet de la réalité ou pas, ces éléments jettent la suspicion sur l’engagement des enseignants et sur leur travail. On peut relever aussi que la plupart des lettres de lecteurs dans les médias qui concernent l’école sont plutôt négatives. Cela participe au déficit de reconnaissance du travail effectué qui a bien souvent un impact sur l’investissement consenti dans son travail : non pas seulement en termes de qualité ou de quantité, mais de pénibilité.

La question du rôle de l'enseignant, ou plutôt des rôles de l’enseignant est aussi importante. Avant, la question était plus claire. Caricaturalement, on peut dire que l'éducation était faite en famille et la transmission des connaissances laissées à l'école. Aujourd'hui, les rôles se mélangent. Certains élèves arrivent à l'école avec une socialisation partielle, sans avoir intégré les règles du vivre ensemble et l'enseignant ne peut donc plus se passer d'éduquer. Il doit apprendre à jongler entre plusieurs rôles qui parfois se télescopent : manifester de l'autorité à certains moments, faire preuve de compréhension et d’empathie à d’autres ; être exigeant quant aux apprentissages sans simultanément décourager certains élèves. C’est un travail en équilibre instable, qui sollicite beaucoup l’enseignant.

Des parents disent parfois qu'ils aimeraient bien que l'on "rétablisse l'autorité en classe". Mais l’on peut se demander si ce désir n’est valable que pour les autres enfants ! Car envers leur propre progéniture, ils demandent de la tolérance, de la compréhension. Ces contradictions induisent donc un doute dans l'esprit de l'enseignant sur le rôle qu'il doit adopter. Doit-il être celui qui comprend, qui accompagne ou celui qui sévit, qui montre de la poigne? L'enseignant doit donc être capable aujourd'hui de revêtir de nombreux rôles et de s'adapter constamment aux situations en classe: il faut tantôt s'imposer, tantôt négocier. Si un enseignant possède un répertoire trop restreint de rôles qu'il peut endosser, il sera plus souvent en difficulté.

Dernier des quatre éléments identifiés dans la recherche, le sentiment ou la perception d’avoir prise sur son travail, de pouvoir trouver des solutions aux différents problèmes que pose l’enseignement aujourd’hui, est déterminante. Cette capacité, qu’avec d’autres auteurs je nomme "agentivité", est un facteur particulièrement crucial. Lorsque des enseignants ont l’impression qu’on leur demande de grimper plus haut qu’avant tout en retirant l’échelle sur laquelle ils sont juchés, il leur est difficile d’éprouver de la satisfaction dans leurs activités. Bien sûr, et heureusement, de nombreux enseignants ne sont pas dans cette situation, et éprouvent du plaisir dans leur travail : et le plus souvent, ce plaisir est justement lié à l’impression d’avoir prise sur les événements, d’avoir les moyens et les compétences pour faire face aux situations rencontrées. Dans les deux cas, ce facteur d’agentivité est très lié à l’investissement de soi dans son travail.

Votre étude montre qu'un enseignant n'est pas souvent en mesure de verbaliser ce qu'il vit au travail ou quels sont les aspects de sa personne (son histoire, ses affects) qui sont sollicités en classe: l'autoévaluation devrait-elle être pratiquée plus souvent?
En effet, les enseignants qui ont participé à l'étude n'arrivaient pas toujours à mettre des mots sur ce qui les sollicite dans leur travail. Pourtant, lorsque nous leur avons soumis notre analyse, ils ont validé nos résultats tout en reconnaissant qu'ils n'auraient pas pu l'exprimer de cette manière. Il n’est pas facile en effet, lorsque l’on est plongé dans l’activité, d’avoir le recul pour prendre conscience de ce qui nous affecte vraiment, de ce qui nous sollicite et demande particulièrement de l’énergie. De ce point de vue, la formation continue est une très bonne ressource mais encore une fois, elle est souvent mise de côté par manque de temps à disposition. 

Par ailleurs, beaucoup d'enseignants ont de la peine à s'autoévaluer. D'un côté, ils aimeraient se rassurer: "Suis-je un bon enseignant?" Mais obtenir une réponse des autres implique de s’exposer, de montrer, de mettre en débat ses pratiques. Un certain nombre peine à franchir le pas et ils ferment ainsi la porte à une évaluation porteuse de reconnaissance.

Comment un enseignant peut-il remédier à ce manque de reconnaissance qui dépend davantage des autres que de lui-même?
J'encourage beaucoup les enseignants à montrer ce qu’ils font, par exemple au travers  de la collaboration, ou de visites réciproques de leçons avec leurs collègues, par exemple. On apprend souvent beaucoup à observer du fond de la salle, même dans sa propre classe. Mais cette démarche implique d'inviter le regard des autres, ce qui est souvent perçu comme utile et risqué à la fois. Mais comme déjà dit, exposer ses stratégies, ses manières de faire, est une condition nécessaire pour recevoir de la reconnaissance: on ne peut reconnaître que ce que l’on connaît. Pour beaucoup d'enseignants, la collaboration est vue comme un problème car elle demande du temps. S’il est vain de chercher à la rendre obligatoire, on peut par contre la susciter, l'encourager et créer les conditions qui la rendent possible.

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