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«La géographie n’est plus enseignée qu'avec une carte et un atlas»

Dernière mise à jour le 3 décembre 2014

Dans son ouvrage tiré de sa thèse de doctorat, Alain Pache, Professeur HEP, emmène ses lecteurs sur la piste d'une géographie renouvelée. Son point de départ: une recherche empirique sur la manière dont les futurs enseignants traitent le thème de l'alimentation en classe. Son outil: un cadre théorique qui s'appuie à la fois sur la psychologie sociale, les sciences du langage et la psychologie du développement et qui permet à l'auteur d'adopter une approche novatrice en didactique des disciplines. Interview.

Votre ouvrage présente des pistes pour une «géographie scolaire recomposée»: qu’est-ce que signifie ce terme exactement?
Depuis quelques années, les curriculums s’organisent sur la base de compétences, ce qui a pour effet de recomposer les disciplines scolaires existantes qui ne sont plus travaillées uniquement pour elles-mêmes. Elles deviennent de simples contributrices à des projets portés par l’ensemble de la société: c’est par exemple le cas de l’éducation en vue du développement durable, de l’éducation à la citoyenneté ou de l’éducation à la santé. Des projets de société qui constituent de réelles demandes sociales faites à l’école.

Il existe donc un besoin prioritaire d’ouverture au monde, nécessaire pour aborder des questions socialement vives à l’école. Si on enseigne une géographie traditionnelle, centrée exclusivement sur la maîtrise de la carte et de l’atlas, par exemple, on construit des connaissances que certains appellent «inertes», autrement dit, qui ne sont pas utiles aux élèves pour résoudre les problèmes du monde actuel et surtout du monde de demain! Il ne faut pas perdre de vue que l’on forme de futurs citoyens. Or, cette visée citoyenne rend indispensable le renouvellement de la géographie scolaire. Sans quoi, c’est une discipline qui n’a plus sa place à l’école.

Dans votre ouvrage, vous explorez les relations complexes entre l’alimentation et la géographie scolaire. Brièvement: quel est le lien entre ces deux thèmes?
Lorsque l’on pense à l’alimentation, on pense à l’éducation nutritionnelle, l’animation santé, les petits-déjeuners sains à l’école. Ce n'est pas l'approche que j'ai choisie qui est centrée sur les sciences humaines et sociales. Mon pari est d'affirmer que si la discipline de la géographie est recomposée, elle peut apporter des outils de pensée pour comprendre les enjeux sociaux liés à l’alimentation, tels que la crise alimentaire de 2008.

Lorsque cette crise s’est déclarée, il m'a semblé intéressant d’analyser la manière dont les enseignants abordent le thème de l’alimentation du point de vue des sciences sociales. L’alimentation n’est clairement pas un thème disciplinaire et peut être approchée à l’aide de différentes lunettes, dont celle de la géographie qui consiste à étudier les relations entre les hommes et leurs territoires et les relations que les hommes entretiennent entre eux au sein d’un territoire. Une lunette qui offre bien sûr une vision partielle du thème de l’alimentation et qu’il faudrait compléter par des approches historiques, sociologiques et économiques pour en avoir une image plus complète.

Cependant, en côtoyant, depuis 2001, les futurs enseignants pour l’enseignement primaire dans le cadre de mon métier de formateur, j’ai décelé chez eux certaines difficultés en lien avec l’enseignement de la géographie. J’ai donc voulu observer leurs choix d’enseignement et mieux comprendre, concrètement, quels dispositifs ils mettaient en œuvre dans leur classe de stage et quelles difficultés ils rencontraient dans l’enseignement de cette discipline. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi le prisme de la géographie.

L'analyse des pratiques langagières des enseignants occupe une part importante de votre recherche: qu’avez-vous pu montrer à l’aide de cette approche?
Dans ce travail, je me suis appuyé sur plusieurs champs disciplinaires: la psychologie sociale, la psychologie du développement et les sciences du langage. J’ai également croisé plusieurs types d’analyse: l’analyse à l’aide de catégories conceptuelles, l’analyse thématique, l’analyse textuelle et l’analyse dialogique des interactions. Cette dernière constitue une approche assez nouvelle dans la didactique des disciplines. Mon choix a été motivé par le sentiment qu'il existait un besoin de mieux comprendre les liens entre le langage et la construction de connaissances –sur lesquels ont beaucoup travaillé Vygotski et Bakhtine – en géographie scolaire.

Cette approche m’a permis de constater que beaucoup de futurs enseignants fonctionnent selon une logique de «connivence». Autrement dit, ils utilisent des mots comme «producteurs», «consommateurs», sans s’assurer que ces derniers font réellement l’objet d’une construction intellectuelle de la part des élèves. Il s’agit pourtant de véritables concepts, difficiles d’accès, et qui font référence à toute une série de savoirs. J’ai ainsi pu mettre en évidence la présence non négligeable de hiatus de communication durant les cours de géographie: des mésententes liées à l’utilisation de concepts mal maîtrisés par les élèves.

Par exemple, une étudiante voulait faire comprendre aux élèves qu’on pouvait analyser les produits du terroir avec le registre social, économique et environnemental, soit les trois principaux pôles du développement durable. Un enfant a alors levé la main: «Mais Madame un produit du terroir ce n’est pas économique!». Le concept d’économie était trop difficile à appréhender pour lui: il a donc compris «économique» dans le sens de «bon marché». Ces difficultés apparaissent souvent lorsque les sciences humaines et sociales sont abordées, puisque les mêmes mots y sont utilisés à la fois dans le contexte scientifique et dans celui du sens commun.

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