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L'itinérance vécue à l'adolescence, une rupture identitaire?

Dernière mise à jour le 17 septembre 2013

Rares sont les études qui se sont penchées sur l'effet des déménagements à répétition sur le développement des enfants d'expatriés, souvent les premiers affectés, pourtant, par ces changements de contexte culturel imposés par la vie professionnelle de leurs parents. Professeure formatrice à la HEP Vaud, Deniz Gyger Gaspoz remédie à cette lacune de la littérature scientifique et aborde cette question dans sa thèse, qu'elle vient de défendre.

"Enfants d'expatriés", "Third culture kids", autant de termes, parfois galvaudés, qui visent à désigner cette jeune population sur laquelle s'est penchée Deniz Gyger Gaspoz dans sa thèse, "Une jeunesse au souffle de la mobilité internationale répétée. Etude exploratoire et descriptive de l'impact de l'itinérance géographique sur le développement à l'adolescence". Une population qui n'est pas aussi uniforme qu'il n'y paraît. Cette jeune professeure formatrice démontre en effet dans sa thèse la pluralité des parcours de chacun à travers des entretiens de plusieurs adolescents scolarisés dans des écoles françaises en Suisse, en Turquie et en Inde, tout en essayant de mettre en lumière les conséquences communes des relocations internationales sur la construction de leur identité. A côté de la diversité des parcours, c'est aussi le concept d'itinérance géographique qu'elle éclaire et distingue de celui de l'expatriation, plus générale, qui englobe des jeunes vivant à l'étranger de nombreuses années sans déménager de manière récurrente.

Pourquoi avoir choisi ce sujet?

Pendant mes études à l'Université de Neuchâtel, j'ai beaucoup étudié la migration et les défis que cela représente pour les jeunes. J'étais par ailleurs fille de diplomate. J'ai donc moi-même vécu dans plusieurs pays durant ma jeunesse, notamment en Iran, en Inde, en France et au Sénégal. Ces déménagements permettent de découvrir de nombreux éléments de la culture du pays d'accueil mais sans pour autant vraiment la pénétrer. En effet, la barrière de la langue reste un obstacle et il n'est pas toujours facile de s'intégrer en tant qu'étranger. Les sorties sont parfois limitées et le déménagement peut impliquer une diminution d'autonomie, selon le pays d'accueil dans lequel on vit. Les jeunes que j'ai interrogés en Inde, par exemple, habitaient souvent très loin du centre et de leur école, cela impliquait d'être amenés partout en voiture et de ne pas être indépendants pour leurs déplacements. Et puisque très peu d'études sur l'expatriation se concentrent sur les jeunes, il m'a semblé important de mieux cerner les enjeux et les implications de l'itinérance géographique sur cette population. En effet, la plupart des travaux abordent des thématiques telles que le management interculturel, la réussite de son expatriation, les enjeux identitaires de l'expatriation chez les cadres, etc.

En quoi les déménagements répétés que vivent ces adolescents influencent leur développement personnel?

Les impacts de cette mobilité internationale répétée peuvent se faire sentir au niveau du développement identitaire, social et cognitif. L'aspect identitaire de leur développement peut être influencé par l'identification au groupe des expatriés bien que celle-ci ne se fasse pas de manière systématique suivant l'endroit où le jeune habite. Le sentiment nationaliste s'exacerbe aussi parfois lors du séjour à l'étranger mais peut également disparaître lors du retour au pays, où le décalage culturel avec son propre pays d'origine se fait beaucoup ressentir. Parallèlement, un repositionnement au niveau social est parfois rendu inévitable par le changement d'établissement scolaire. Par exemple, l'un des jeunes que j'ai interrogé était extrêmement populaire dans son ancienne école, et, une fois arrivé dans son nouvel établissement, il est devenu du jour au lendemain la personne qu'il ne faut surtout pas fréquenter. Cela nécessite une certaine adaptation identitaire.

Au niveau du développement social, j'ai été étonnée de l'importance donnée par ces jeunes à leurs grands-parents. Ils ont une fonction d'amarrage plus grande que pour les autres jeunes qui ne connaissent pas cette mobilité. Le concept de racine était nécessaire pour les jeunes interrogés, qui ressentaient le besoin de s'inscrire dans une lignée. Maintenir leur réseau social constitue également un enjeu plus important pour eux, en tout cas dans les premiers temps de leur arrivée dans leur nouveau pays d'accueil. Par la suite, les nouvelles connaissances vont remplacer l'ancien réseau, d'où la nécessité constante, pour ces jeunes, de toujours s'intégrer. Une tâche qui n'est pas toujours facile. A l'école française d'Ankara, par exemple, il y a peu d'élèves étrangers. Elle est en effet avant tout fréquentée par des enfants de familles locales, souvent aisées. Lors des pauses, la langue commune est donc le turc, ce qui complique l'intégration.

Enfin, leur développement cognitif sera stimulé par l'apprentissage de la gestion de l'itinérance géographique: ils vont acquérir la capacité de s'intégrer, de s'adapter à un nouvel environnement culturel et géographique, de gérer ces multiples déménagements. En revanche, les jeunes interrogés n'avaient pas tous développé de compétences particulières pour l'apprentissage de nouvelles langues, comme on le pense souvent. Ils maîtrisent l'anglais en plus de leur langue maternelle s'ils étudient dans une école internationale, ce qui n'est pas toujours le cas, mais ils n'apprennent pas forcément la langue du pays dans lequel ils habitent.

Il est également intéressant de relever la manière dont les jeunes utilisent certains éléments de leur environnement socioculturel comme ressources pour faire face à ces déménagements. Ces éléments peuvent jouer différentes fonctions: celles qui permettent le changement et celles qui permettent la continuité. Il peut s'agir de la famille, de relations ou d'objets culturels. Certains objets sont ainsi utilisés comme porteurs de mémoire, à l'instar de Coltilde, qui rédigeait son journal par peur de l'oubli.

Dans votre thèse, vous relevez que les écoles ne sont pas très actives dans l'intégration de ces élèves: que préconisez-vous?

En effet, si les écoles internationales mettent généralement en place des dispositifs d'intégration, ce n'est pas le cas des écoles françaises de l'étranger ni d'ailleurs des écoles locales en Suisse. Les enseignants sont très peu apparus dans le discours des jeunes que j'ai interviewés. Il me semble pourtant que c'est le rôle de l'école que de s'investir dans cette fonction. C'est pourquoi, j'ai émis plusieurs recommandations à la fin de ma thèse qui leur sont adressées, notamment celle de la mise en place d'un système de mentorat: les anciens élèves seraient chargés d'intégrer les nouveaux venus. Il est également essentiel que l'enseignant laisse à l'élève le temps de l'adaptation car l'arrivée dans un nouveau système scolaire représente un grand stress. Il est par ailleurs bénéfique qu'il s'intéresse à son parcours, en lui faisant, par exemple, réaliser une présentation sur son pays d'origine, ou sur son ancien pays d'accueil. Au moment du départ, des actions peuvent également être entreprises, comme par exemple, faire faire aux élèves un livre souvenir.

Plus globalement, il y aurait aussi des choses à mettre en place au niveau du Département fédéral des affaires étrangères et des entreprises. Ces dernières se préoccupent peu des enfants de leurs employés. Le directeur des ressources humaines d'une multinationale que j'avais contacté dans le cadre de mon étude m'avait affirmé ne jamais avoir pensé que le déménagement des collaborateurs pouvait affecter leurs enfants. Pourtant l'expatriation n'est pas sans répercussions sur les enfants et les changements vécus par les jeunes peuvent se répercuter sur l'ensemble de la cellule familiale.

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